Le lettré

Sous ses atours d'artiste délicat, Edgard D'Hont dissimulera avec peine un fondement plus secret de sa personnalité. Discrètement vindicatif, il ne pourra se départir d'un combat acharné lié à la reconnaissance culturelle de sa région natale.

Renforcé par cette passion viscérale, son intérêt culturel se concentrera sans faillir sur l'art mosan, son histoire, ses perspectives et sa réalité.

Puisque son caractère convivial lui apporte aisément l'expression des ressentis de chaque artiste qu'il côtoie, il va, sans peine, synthétiser puis vulgariser les réflexions de toute une génération de peintres parmi lesquels émergent Heintz, Donnay ou Rassenfosse.

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Dès lors, sollicité par diverses publications afin d'y tenir rubrique, il revêtira sans peine le costume solennel d'expert averti. Le journaliste d'art optera pour un nom à résonance romantique: Edgard DESBRUYERES. Il refusera à jamais d'apposer son patronyme réel au terme de quelque texte. Seuls ses proches seront avertis du subterfuge. Dès lors, quelques peintres, parfois meurtris par les critiques au vitriol, ignoreront probablement que, sous les traits compréhensifs du collègue à qui ils se plaignent, se dissimule en fait leur...bourreau!

Edgard Desbruyères revêtira, tour à tour, trois rôles distincts: celui de l'expert éclairé, du critique vif argent et enfin du chroniqueur conservateur désabusé par la stupidité d'un monde changeant. En toute occasion, il ne trahira jamais l'ombre d'un doute personnel. Il semble si totalement convaincu de l'acuité de sa vision qu'un excès d'assurance le surprendra trop souvent.

La bourgeoisie liégeoise cossue deviendra sa lectrice assidue. Elle trouvera dans ses chroniques une clé d'interprétation teintée d'orgueil. Le Chénéen adulé, sera fréquemment sollicité afin de tenir un rôle de conférencier face à un public conquis d'avance.

La carrière d'Edgard Desbruyères connaîtra deux époques distinctes. L'une, fructueuse et arrogante, précèdera l'éclatement du premier conflit mondial. L'autre, décriée par la jeunesse issue des années folles, prendra un ton léger mais dramatiquement pessimiste. Désarmé face à la fougue de l'art nouveau, vieilli et reclus, c'est dans l'exercice d'un ton amer et persifleur qu'il exprimera son mal-être et ses désillusions.Par ce biais, il retrouvera ses admirateurs d'avant-guerre aux cheveux blanchis.

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Soutenu par les principaux rédacteurs en chef locaux, devenus avec le temps ses amis, Edgard D'Hont va travailler au service des quotidiens " Le Journal de Liège" et "La Meuse". Vers le terme des années vingt, Marguerite Vincent, la poétesse, attirera son très proche ami au sein du comité rédactionnel d'une revue artistique baptisée "Panorama". Cette publication au profil embourgeoisé, choisira pour devise trois vers d'Edmond Rostand, qui, étrangement, conviennent parfaitement à l'état d'esprit du Chénéen:

"Empanaché d'indépendance et de franchise,

Je fais en traversant les groupes et les ronds

Sonner les vérités comme des éperons"         (Cyrano de Bergerac)

 

Edgard D'Hont sera, de plus, élevé au rang de collaborateur officiel du Musée de la Vie Wallonne. Sa tâche essentielle, par ses écrits, sera d'y servir de "mémoire vivante" chargée de narrer un folklore né en Outremeuse. Chroniqueur alerte, il se présentera toujours sous les traits d'un dénonciateur obstiné des ravages d'un progrès qui s'égare. Pour D'Hont, la cause originelle de cette chienlit croît au coeur d'une déliquescence de la morale, de la perte d'intégrité et de l'effort gratuit. Il développe cependant une vision certes conservatrice mais néanmoins éloignée des poncifs et des caricatures. Il croit en la valeur de l'âme humaine pourvu qu'elle reste dans l'intimité des beautés naturelles. Sa prémonition avoisine les fondements des théories écologistes. Ses visions purement intellectuelles et artistiques sont définitivement et à jamais contiguës.

Au hasard de ses articles, Edgard Desbruyères-D'Hont critiquera par exemple la mise à la retraite du passeur d'eau de Méry remplacé par, selon lui, un horrible pont en fer,ou bien  l'apparition de ces "...nouvelles réclames hideuses..." qui recouvrent le moindre mur de leurs "...propos profanes..."

Enfin le voilà critiquant au vitriol le "...marchandage que se permettent certains au moment d'acquérir une oeuvre d'art, eux qui ne se permettraient jamais de mettre en cause le prix d'un quelconque objet usuel..." Les artistes victimes de ce "..vol..." se révèleraient néanmoins complices de cette extorsion car, selon lui: "...leur coeur saigne mais leur estomac réclame..." Avouons que D'Hont oublie ici sa fortune acquise par héritage qui le met, si facilement, à l'abri de toute mendicité même intellectuelle.

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Edgard D'Hont tiendra un ultime rôle de littérateur exclusivement au sein des pages  de la revue " Art et Critique"( l'exemplaire ci-contre est par exemple dédié à Auguste DONNAY fièrement représenté de profil à la une). Il s'y montrera pédagogue afin d'expliciter les menées, les intentions et les mises en oeuvre du nouveau Cercle des Beaux-Arts dont il assure avec compétence le secrétariat. Sa pertinence des exemples et son choix des mots permettront aux idées du Cercle de se diffuser très facilement.

Sa rancoeur principale s'exprimera surtout à l'égard de l'association à la fois plus historique et désormais rivale: le moribond Cercle Artistique, qui, bien qu'il se revendique liégeois de coeur, lors de son salon: "...favorise ostensiblement les artistes étrangers et n'expose les artistes liégeois que dans les recoins..." Cette diatribe nous prouve le décalage qui existait à l'époque entre les Anciens du 19 ème siècle débutant et la génération nouvelle qui "sautait" allégrement par-dessus la  frontière du 20ème siècle.

A lire le secrétaire du Cercle, apparaît l'évidence du désarroi des artistes locaux durant la totalité du dix-neuvième siècle face au succès imposé des peintres flamands agglutinés dans l'ombre de Rubens.

La volonté et le courage de la génération artistique entourant Edgard D'Hont, face aux innombrables obstacles, forcent l'admiration. C'est grâce à leur ténacité, leur générosité mais aussi leur camaraderie qu'aujourd'hui peut-être, tout un peuple liégeois, mosan et finalement wallon, s'est réveillé et s'est offert le droit de se  reconnaître un esprit qui n'appartient qu'à lui. Et ce peuple comme le titre de l'article d'Edgard D'Hont ci-dessous l'annonce, vit et se réalise désormais..." Chez nous !"

" Fondé en 1892, notre Cercle est entré dans sa dix-septième année. Sa prospérité n'a cessé d'égaler son utilité grande, car, il faut lui rendre cette justice qu'il a rudement contribué à l'élan artistique en notre importante cité industrielle où les arts plastiques occupaient une place si exiguë...Avant sa fondation, et après la chute du Cercle Artistique, mort d'inanition, les expositions d'art étaient bien peu fréquentées à Liège, et les amateurs réellement problématiques.

Nos artistes, les jeunes particulièrement, étaient à peu près ignorés, n'ayant guère l'occasion d'exhiber leurs oeuvres si ce n'était à la montre miroitante de quelques commerçants complaisants. Il me souvient du temps où le journal "La Meuse" publiait fréquemment ses critiques sous la rubrique: "l'art aux fenêtres". Pâles manifestations que nos jeunes d'aujourd'hui n'ont pas connues. Ah, mes amis, les temps étaient autrement durs alors...Pas d'émulation, pas de stimulant....Les uns s'en allaient vers des centres de cultures artistiques ( ndlr: étrangers), d'autres abandonnaient tôt la lutte et ses âpretés.

La lacune fut enfin comblée. Des artistes se réunirent une bonne fois, parvinrent à s'entendre, chose pas toujours ordinaire et le Cercle des Beaux-Arts fut fondé.

Trois expositions générales et un salon burlesque eurent lieu en la morne salle de l'Emulation, le seul local convenable, si on peut dire...L'accueil du public fut encourageant, l'institution était décisive.

En 1897, le Cercle était dans ses murs. Local modeste, mais suffisamment éclairé, inauguré le deux mai de la même année par une exposition générale réservée aux membres. Les envois furent nombreux, au point que les tableaux acceptés durent être exposés en deux fournées, en trois même, car le six juin suivant, le public était à nouveau invité à visiter l'exposition réservée aux aquarelles, pastels, dessins et architecture. Hélas!!! Les cataractes célestes bénirent trop copieusement ce salon. Il fut inondé! L'humidité des murs, récemment plâtrés, menaçait gravement les dessins et pastels, tandis que les aquarelles en plein dans leur élément, se gondolaient comme des petites folles m'a affirmé le camarade Müller. Petit à petit le local prit du ventre et si,au lieu d'avoir atteint les proportions d'un monument, il fait songer les esprits caustiques

à une boîte à cigares, il n'en est pas moins vrai que les visiteurs deviennent de plus en plus nombreux et que les expositions s'y succèdent sans interruption de novembre à juin.

L'exposition ouverte actuellement marque la cent quarante-neuvième organisée en notre local du Boulevard de la Sauvenière. C'est déjà coquet, hein ? Et puis avec le poète, il peut chanter: " Mon verre est vide...mais je bois dans MON verre..."

Ce verre, fut-il même un "plat cou"...C'est déjà quelquechose!

Edgard Desbruyères.   ( ndlr: le "plat cou" est un petit récipient destiné au "péket", l'alcool de grain local. Liège a connu sa "Confrérie du plat cou")

Cercle beaux art heintz wurth sirtaine
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Edgard D'Hont, soudainement, dans son rôle de journaliste, va surprendre ses lecteurs en devenant brutalement le "chantre" et par là le défenseur acharné d'un mouvement artistique aux antipodes de ses sujets récurrents en provenance des régions nordiques. Cette école prône la représentation du travail et surtout de l'industrie métallurgique. Oublieux de ses actes de foi et de sa protection  obstinée d'une nature préservée, il va devenir l'ami intime du remarquable peintre hollandais Heyenbrock dont les tableaux illustrent des nuages de vapeur nés du fer et de l'acier et non de l'évaporation d'une humidité naturelle.( voir l'huile ci-contre) Il recevra le Batave chez lui et lui fera visiter les principales usines de la sidérurgie liégeoise. On ne peut omettre, dans un souci de compréhension partielle de la démarche, l'admiration profonde que portait le paysagiste de Chênée au génial Constantin Meunier.

Dans les années trente, la presse liégeoise surtout, fera très systématiquement appel au talent caustique d'Edgard Desbruyères...sans oublier de louer le talent d'un paysagiste que ce dernier connaît trop bien mais dont il ne parlera JAMAIS.

Le talent d'écrivain ou de chroniqueur ne sera jamais négligé par Edgard D'Hont qui s'obstine à composer au mieux le moindre écrit ou la plus insignifiante lettre..Sa plume restera acerbe et originale jusqu'à son dernier souffle. Le texte proposé ci-dessous en est la preuve. Voici en effet le petit mot de remerciement qu'il fait parvenir à la famille Michel d'Embourg, proche parente de la bonne âme de Berthe Vandaul. La seconde guerre mondiale déclarée, la Belgique se retrouve envahie par les troupe du troisième Reich. Voilà donc l'heure des privations revenue... Les Michel, durant plusieurs mois, ont caché dans leur grange un cochon qu'ils ont surnommé, par pur hasard sans doute, "Adolphe". Le brave verrat paiera de sa vie le rationnement instauré par les Allemands.Son corps se verra découpé puis, avec générosité, distribué à tous les parents et ami. Voici comment, toujours avec l'emphase typique du début de vingtième siècle, Edgard D'Hont va remercier ses généreux donateurs..Pour rappel, il est alors âgé de 80 ans. Epuisé et malade , il s'éteindra quelques jours après cette ultime envolée...

 

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"Après ses délicieuses saucisses, son succulent boudin, ses côtelettes incomparables, Adolphe, le bienvenu, nous livre l'occasion de savourer son lard, chose qui, actuellement, tient un peu du domaine du rêve. Le lard d'Adolphe qui sent bon le poil brûlé sous l'éphémère flambée de paille...le lard jeune, onctueux, sobrement veiné de maigre...le lard évocateur de la fricassée dominicale des temps paisibles, absorbé en famille en laissant aux lèvres gourmandes des traces luisantes...Voilà ce que nous vaut la si louable libéralité de notre chère Marthe, Madame Michel, pour celui qui en profite par...ricochet. En choeur et avec la plus profonde sincérité stomacale, nous lui adressons un enthousiaste merci et lui offrons une grappe de grains de reconnaissance.

Ceux des Courteaux.

Pour le véritable amateur de notre superbe langue française, le talent littéraire d'Edgard Desbruyères-D'Hont jaillit surtout lorsqu'il abandonne ses "fixations" sociétales, ses "diatribes" politisées pour s'abandonner à la véritable profondeur de ses sentiments..C'est lorsqu'il s'efforce d'expliquer sa région que le littérateur rejoint le mieux le paysagiste.

A lire certaines descriptions, on en arrive presque à regretter que le Chénéen n'ait pas plus "fatigué" sa plume poétique à l'encre de son âme ,et ce, jusqu'à recouvrir de tendresse l'étoffe de nos rêves...Voici son poème en prose intitulé : Première neige en face d'une de ses aquarelles au titre oportunément identique (collection privée)

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" Son duvet recouvre les champs unifiés dans l'infinie blancheur. Elle saupoudre les bois, capuchonne les habitations, matelasse les chemins.

En sentinelles transies, les arbres gardent stoïquement les grand-routes, tendent leurs membres ouatés au-dessus des rares passants

Un silence religieux étreint les villages, les hameaux.

N'était la ville de fumée qui fuit des cheminées, on croirait ces cubes de pierre livrés au morne abandon. Derrière les vitres glauques on devine cependant des êtres proches d'un feu dont les langues avides dévorent les bûches qui sentent bon la résine.

Dans les étables, les bêtes, étroitement couchée, se tiennent coites dans l'atmosphère mutuellement tiédie, semblent rêver à l'herbe tendre broutée en les prés verts.

Le ciel,uniformément gris, effeuille des roses blanches en hommage en la grande communiante figée en sa robe couleur de l'innocence. La campagne fait sa première communion.

Pour sanctifier cette angélique cérémonie, des harpes éoliennes entonnent une douce symphonie et, pieusement, le silence est descendu sur la glèbe recouverte d'un manteau purificateur.

Mais , pareil au kaléidoscope,Edgard D'Hont n'en a pas fini de nous laisser entrevoir la multiplicité de ses talents.De fait, l 'homme s'exercera aussi au talent d'auteur de chansons. Ayant trouvé en un certain N. Ribel le mélodiste idéal, il va écrire de nombreux airs destinés surtout au voix d'opéra. Il ne nous a été impossible de trouver plus d'une seule partition mais cette dernière au titre ( et sous-titre...) plutôt velléitaire nous est apparue clôturer en "fanfare" cette page où poésie, politique, philosophie et enfin distraction se mélangent. A ceux qui possèdent le don de lire les notes, il nous a été impossible de ne pas proposer ici la partition complète de la chanson :"A la frontière"

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