L'oublié

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En 1941, à l'heure des atrocités de la seconde guerre mondiale, Edgard D'Hont quitta définitivement notre monde. Sans doute, à l'approche de son agonie, a-t-il estimé que son combat philosophique servi par son art méticuleux n'avait, en bout de course, pas convaincu grand nombre de ses contemporains...

L'oeuvre du paysagiste, animée par un état d'esprit à contre-courant des fantasmes du progrès, sera emportée par le temps qui passe, remisée inexorablement, puis méprisée par omission dans l'oubli....Peut-être la photo ci-contre qui nous le montre au travail, mais de dos, symbolise-t-elle le mieux l'effacement dans lequel il est tombé.

Jacques Parisse, esthète de l'art liégeois, décernera pourtant à l'artiste de Chênée le titre sans envergure de " joueur de pipeau".

Cette apparente condescendance porte en elle un message plus profond que ne le souhaitait le critique....Elle permet, par exemple, d'entrevoir d'instinct quelque pâtre adossé à sa bergerie sous un ciel où naviguent en liberté des nuages voluptueux..

Voilà donc, en fait, une image plus riche qu'elle ne le voudrait!

Certes ,la dérisoire flûte de bois trahit l'humilité du musicien qui la manipule. Mais elle révèle aussi un son aérien, léger, empli de la densité d'une terre et du souffle des âmes humaines.

Sa musique, simple et délicate, concède à celui qui l'écoute une vérité venue du fond des âges.

Ainsi appartient-il à cet instrument agreste de narrer l'histoire profonde d'une communauté humaine. Son souffle authentique transporte des journées de labeur, de sueur et d'espérances. Il recèle l'essence même d'un concept vital pour avoir fait le quotidien de bien des générations.

 

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Les oeuvres du paysagiste transporteront à jamais une unité d'approche inaltérable et pure. Si elles ont trouvé un libre accès aux atmosphères les plus diverses, c'est peut-être pour mieux en démontrer le caractère viscéralement immuable.

Cette richesse arbore fièrement un nom: Wallonie.

Edgard D'Hont, à tout jamais, se noie dans son environnement et s'en glorifie.

L'approche de l'artiste en fut intuitivement "profonde", "intime", "cordiale"...

L'adjectif "profond", une fois lancé, apparaît judicieux puisque Michelet l'utilisait déjà pour qualifier d'un seul mot l'Ardenne dans tous ses aspects.

Qu'aurait compris de la vie le jeune Edgard sans ces paysages où les rivières sculptent les vallées, usent les rochers qui les défient et coulent à jamais vers la Meuse au destin aussi vaste qu'un océan ?

Vers 1850, lorsque les plantations massives d'épicéas remplacèrent les petits chênes humbles et monotones qui peuplaient les coteaux, c'est l'Ardenne tout entière qui y trouva une densité nouvelle. Elle offrit en retour une sauvagerie ténébreuse...

La délicatesse s'y inscrivit en art et l'art en éternité.

Edgard D'Hont, soucieux de toujours s'inscrire dans un mouvement collectif où les artistes se soutiennent sans rivalité, compte parmi les serviteurs les plus assidus du miracle mosan.Celui-ci ne se contentera pas de trouver dans la couleur un simple langage mais plutôt une forme de vie.

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Loin des touches grasses de l'art flamand, loin de l'approche vantarde des écoles bruxelloises ou anversoises, l'école wallonne du paysage, comme la nomme son spécialiste Jacques Goijen, trahira la profondeur des décors qui la cernent, l'essence même d'une magie où trônent les mystères.

C'est dans la solitude et les énigmes de ses bois que l'art mosan est né, vit et restera.

Quant à Edgard D'Hont, laissons-le murmurer les grâces et les politesses que se font les éléments, concédons-lui le souci de protéger tout un esprit régional par les illuminations d'un lever de soleil, d'un crachin ou d'une embellie...

Et comme l'écrivait en poète Edmond Rostand par la voix de Cyrano de Bergerac ,son personnage fétiche:

" Approche, ancien berger,

Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres

Souffle et joue à ce tas de goinfres et de piffres

Ces vieux airs du pays au doux rythme obsesseur

Dont chaque note est comme une petite soeur

Dans lesquels restent près des sons de voix aimées

Ces airs dont la lenteur est celle des fumées

Que le hameau natal exhale de ses toits

Ces airs dont la musique a l'air d'être un patois !"

 

Sollicitons Edgard D'Hont, pour qu'en joueur de pipeau, il porte son instrument à la bouche et nous décrive par le pinceau et la couleur les reflets de notre paradis enchanteur...

Nul doute dès lors, qu'au détour d'une sente, nous nous arrêterons parfois en nous exclamant:

"Tiens un...D'Hont !"

Saurons-nous alors que l'âme du peintre renaît en nos esprits, que son art émeut encore et que c'est une vie d'espérance qui coule en nos coeurs?

Saurons-nous alors que nous goûtons au vrai bonheur ?

 

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Chaque génération a une mode toute prête pour celle qui l'a précédée...

De tout ce que fut notre vie, les nouveaux venus n'en verront que...

les fantômes !

Edgard D'Hont.

 

( ci-dessus une huile réalisée par Alfred DEFIZE, intitulée : " Le peintre Edgard D'Hont" montrée au public lors de l'exposition du centenaire du "Cercle Royal des Beaux-arts de Liège" en 1930. Le paysagiste refusa quant à lui de participer à cette manifestation suite à son différent avec les initiateurs de ce cercle qui malgré son honorabilité avait évincé son enfant: le "Cercle des Beaux-Arts ".

Tout le talent de DEFIZE jaillit dans ce portrait....Animé par amitié indéfectible et sincère, il est parvenu, à l'occasion de ce travail,  à exprimer toute l'âme d'Edgard D'Hont au travers d'un simple regard. Au fond de ces yeux, on retrouve la combinaison subtile entre une humanité viscérale et cette fierté de faire avec succès ce en quoi l'on croit...Qui mieux qu'un artiste pouvait terminer plus brillament notre évocation du Maître de Chênée ?