L'homme d'une vie...

Le sept avril 1941, à une semaine précise du dimanche de Pâques, Edgard D'Hont, qui ne compte plus que six mois à vivre, affaibli et malade, envoie une dernière fois ses voeux de fête à son ami Alfred Defize. En conscience, il s'y flatte pourtant encore d'une volonté inébranlable qui l'a poussé à reproduire, tout au long de quatre-vingts années de travail et de passion, le miracle d'une magnificence.

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Liégeois dans l'âme, il se sent "contraire à la masse" pour qui la banalité a épousé à jamais un manque de goût. Sans jamais déroger à ses principes, il n'aura cessé de traduire des paysages sous la pluie ou la caresse d'un soleil taquin. Son art aura refusé tout artifice, toute concession aux courants picturaux contemporains aussi révolutionnaires que novateurs.

Le patronyme D'Hont, variante de" de hond", le chien en néerlandais, est couramment porté dans les régions du Nord Pas-De-Calais ou de la Somme. Il est plus usité encore en Belgique, et plus particulièrement dans les régions flamandes du royaume. Depuis des siècles, surnommer quelqu'un de "chien" tient lieu de sobriquet. Il faut chercher l'origine de cette raillerie dans la tâche subalterne qu'exerçait le veneur. Ce dernier, souvent un peu simplet, se chargeait de la meute canine à la poursuite d'un gibier que d'autres chasseront. Le patronyme peut aussi signifier l'appartenance de la personne à la région de l'Escaut occidental,le désigner en tant que soigneur de canidés, voire le crucifier en le désignant tel un avare reconnu...

Si Edgard D'Hont, le Wallon assumé, porte ce nom à consonance germanique, il le doit totalement à ses origines paternelles. Ses grands-parents paternels sont originaires de Deinze(anciennement Deynze), petite bourgade lovée le long des rives de la Lys.

Si les métiers à tisser accaparent la vie de Deinze, il est remarquable de constater que l'activité industrielle n'y étouffera jamais des velléités culturelles. Cette dimension originale imprégnera, sans l'ombre d'une hésitation, l'esprit de tous les membres de la famille Dhont.

Le grand-père paternel d'Edgard D'Hont se prénomme LOUIS. Il se déclare marchand. Ce négociant roué, natif de Deynze, dont le nom roturier s'écrit d'un seul tenant, gère des affaires extrêmement prospères qui apporteront de substantiels revenus d'héritages à sa descendance. Il épouse Caroline DE MEYER, une proche voisine, née à BACHTE-MARION-LEERNE, un hameau de la cité textile. Afin de développer plus encore, les marchands de la région coincée entre Gand et Courtrai, choisiront la ville de  Lille comme mégapole des échanges commerciaux.

Le vingt-quatre août 1818, quelques heures avant l'inauguration de la foire,Jean-Baptiste BARROIN, l'officier d'Etat Civil de Lille, atteste de la naissance en sa cité du petit EDOUARD DHONT. Les organes officiels de la ville de Deinze, où il a assurément vécu son jeune âge, n'ont gardé aucune trace de lui!

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Nul doute cependant qu'il y a suivi une scolarité quelconque puisqu'à l'âge adulte il peut, avec compétence, lire, écrire et calculer.

Dès novembre 1830, le gouvernement belge provisoire, soucieux de protéger sa liberté menacée, décide de créer à Liège un bataillon d'artillerie de siège auquel furent adjoints d'autre régiments mixtes dont le "troisième" que servit Edouard Dhont. Au cours d'un séjour professionnel dans la principauté, Edouard Dhont va faire la connaissance de la  jeune Louise DUGUET, sa cadette d'un an, pour qui il va ressentir un sentiment très amoureux. A l'évidence, le milieu social de la jeune Louise n'est pas vraiment favorisé. C'est à l'entame des années 1840 qu'Edouard et Louise se rencontrent et se plaisent si fort que le neuf mars 1845, Louise, qui loge rue des Ursulines, met au monde un petit Alfred, reconnu et déclaré en bonne et due forme par son père. L'enfant n'en est pas moins considéré légalement, faute d'acte de mariage, comme illégitime.Cette situation, fort scabreuse pour l'époque,sera corrigée par une union légale entre les deux géniteurs le vingt mai 1846. Edouard a su se montrer correct en accord parfait avec l'esprit moral catholique qui préside aux deux clans concernés. suite à ces noces, Edouard viendra habiter Liège. Le couple se domiciliera d'abord rue des Franchimontois, à quelques pas de la Meuse pour ensuite migrer vers Grivegnée.

Edouard mènera ensuite carrière dans la garde civique vêtu de l'uniforme bleu marine caractéristique de ce corps de surveillance et de maintien de la sécurité publique.Un portrait solennel d'Edouard (ci-dessous), daté de 1901, permet de mieux cerner quelques faits de sa carrière dans les rangs de la Garde Civile. Le vieil homme, à l'apparence toujours alerte malgré ses quatre-vingt-trois printemps, y arbore avec ostentation, sous une moustache fleurie, quatre médailles honorifiques au revers de son veston.

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Le couple formé par Louise et Edouard aura trois enfants dont nous pouvons encore compulser les actes communaux de naissance. Le second fils du ménage naît le vingt-deux décembre 1851 et se prénommera Eugène. Au contraire de celui de son frère aîné, son acte de naissance, exécuté six années plus tard que son aîné, comporte quelques surprises. Si Louise semble avoir choisi définitivement un statut sans "profession", son mari se déclare, non point officier comme attendu, non pas comptable comme cela lui arrive mais...rentier ! Il est de notoriété publique qu'à cette époque les documents pourtant officiels étaient consignés localement avec désinvolture et un respect naïf des déclarants... Pourquoi Edouard met-il un point d'honneur à nier sa fonction réelle? Probablement a-t-il hérité d'une somme plus que confortable qui lui permet, en cas de désir, de se ranger de toute activité professionnelle. Il est certain que ce "magot", hérité en bonne et due forme, autorisera plus tard son fils Edgard à ne vivre que de son art et de ne pas devoir s'astreindre à une profession plus classique afin de subvenir à ses besoins. Le treize octobre 1861 sonne en tant que date officielle de l'apparition du troisième et dernier enfant du couple Dhont.

A onze heures du matin, soit dix heures à peine après un accouchement nocturne, l'Echevin de l'Etat Civil de Chênée dans le canton de Fléron, acte la naissance d'un enfant de sexe masculin: EDGARD NAPOLEON EDOUARD MARIE, et ce, en présence de son père et de eux témoins ,comptables de profession. Edouard Dhont, ce matin-là, a-t-il, comme l'exige la tradition, forcé le nombre des libations de joie à grands coups d'alcool de grain local ou se sent-il titillé par un esprit espiègle? Nul ne le sait. Toujours est-il qu'il va, une fois de plus, travestir allégrement la vérité et pousser, sans le savoir, les rares biographes de son dernier fils sur des pistes pour le moins imaginaires.En effet, Edouard Dhont, sans justification, s'attribue, et par conséquent offre de façon définitive à son cadet, une redondance nobilaire. Le voilà devenu par magie :Edouard d'Hont de Pléheaux.

Dans ce nom inusité, on retrouve non seulement le patronyme trafiqué d'un témoin de la naissance d'Eugène, mais aussi l'apostrophe distinctive qui institue une noblesse fallacieuse. Edgard, fort proche et respectueux de la personne de son père, ne lui tiendra sans doute jamais rigueur de cet épisode cocasse et réalisera de lui un croquis émouvant d'intensité. Dans ce crayonné, présenté ci-dessous, il prouvera l'acuité de son trait au service du seul portrait de sa main qui nous est parvenu.

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Edouard Dhont décèdera aux environs des années 1907-1908 après avoir fêté ses quatre-vingt-dix ans en famille. Edgard D'Hont est né à Chênée alors que ses parents résidaient alors dans la commune de Grivegnée. Il apparaît plus que probable que Louise Duguet, dans sa quarantième année, a préféré accoucher chez une connaissance ou a choisi l'aide d'un médecin par crainte de complications.

Edgard D'Hont passera son enfance et adolescence ( voir photographie ci-dessous à droite) parmi les quartiers qui se mirent dans le confluent joignant l'Ourthe et la Vesdre. Il grandira donc dans un environnement marqué par l'omniprésence aquatique.

Des éléments disparates dont l'histoire nous a laissé la trace, nous permettent d'entrevoir la jeunesse d'Edgard.

Né au sein d'une famille socialement respectueuse de l'ordre et des traditions, il en sera le cadet choyé....né respectivement seize et dix années après ses aînés. Ces différences d'âges marquées induisent une enfance un peu solitaire face à deux "grands" frères tournés vers d'autres intérêt et auprès d'adultes soudain trop permissifs. Dans une société où les enfants sont moins bien gâtés en joujoux qu'aujourd'hui, on imagine le petit Edgard vivre au grand air, courir à travers les ruelles, franchir les gués, suivre les biez et jouir des sautes d'humeur des saisons...La situation sociale de son père lui évitera l'exercice d'un métier manuel au sortir de la petite enfance mais l'astreindra, par contre, à une scolarité surveillée. Il sera sensé, malgré un esprit original, y acquérir les connaissances susceptibles de lui offrir la fréquentation des élites d'un univers aux classes sociales cloisonnées. Au cours de ses études de base, le juvénile Edgard dut montrer des aptitudes incontestables d'apprenti-dessinateur. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, cédant à ses insistance, ses parents l'inscrivent au sortir

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de ses années primaires à l'Académie des Beaux-Arts de Liège afin d'y poursuivre une scolarité secondaire et d'y apprendre surtout " ...la souplesse et la fermeté de la main, la précision du coup d'oeil et le sentiment du beau..."! Au sortir de l'Académie, les élèves diplômés se destinaient volontiers à l'enseignement du dessin, de l'anatomie, de la sculpture ou de la peinture. Pour obtenir leur nomination officielle, ils devaient passer un examen pointu face à un jury d'experts basé à Louvain.Edgard D'Hont ne présentera pas cette épreuve et choisira la voie, certes prestigieuse mais aléatoire, d'artiste indépendant. Sans doute, très ambitieux, fut-il envoûté par l'idée libertaire prodiguée par une telle carrière.

En 1881, diplômé, au sortir de ses études menées dans les ateliers des Beaux-Arts, il se retrouve, comme tout jeune Belge de sa génération, confronté à la possible obligation de la conscription. En ces années, l'inique tirage au sort s'avère légalement de stricte application. Le jeune homme effectuera, suite à l'obtention d'un "mauvais" numéro un service long de trois années.

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Dès 1885 ( année approximative de la photographie ci-contre), l'aspirant artiste, totalement méconnu, va faire parler de lui. Alors qu'un premier dessin paraît dans la presse, il participe à plusieurs expériences du type "l'art aux fenêtres" et y trouve ses quelques premiers acheteurs. Avec obstination, il se remet chaque fois au travail avec humilité. Au cours de l'année 1886, en plus de participation à des "montres", ces expositions de tableaux aux devantures des magasins, il se produit, sous le pseudonyme de Floridor, sur les scènes des cabarets de la principauté. Le "Carré" liégeois connaît ainsi un nouvel habitué. Son numéro consiste en l'exécution en quelques secondes, d'un dessin dont le thème est suggéré par un spectateur. Cet exercice, où il excelle, laisse son public d'abord pantois et ensuite profondément admiratif. Ses performances seront l'objet de plusieurs articles élogieux dans la presse.

Bien plus officiellement, nous retrouvons sa trace le douze juillet 1890 à Anvers, date à laquelle il épouse Adèle VANNECK, sa compagne d'une vie. La famille VANNECK est originaire de WILLEBROECK. Au coin de la célèbre Porte de Flandre, à deux pas de la SENNE que les pouvoirs publics n'ont pas encore voûtée, Corneille Vanneck, en bon père de famille nombreuse, a ouvert, au numéro un de la future chaussée de Gand, une confortable boutique de cordages divers et d'articles de quincaillerie. Le commerçant a fait très largement fortune. Toutes les photos , qui nous sont parvenues d'Adèle, nous montrent un être atone, porteur des signes ostentatoires de la religion, la bouche close, les lèvres serrées, les yeux emplis d'une intensité mélancolique et la coiffure strictement ramenée vers l'arrière en toute absence de la moindre liberté. Même les clichés plus tardifs, pris à l'époque sans doute heureuse de son mariage présenteront, en exergue, la physionomie d'une femme austère, fermée peu encline au plaisir.

Le portrait ci-dessous de Victorine Elisabeth Adèle Vanneck nous la montre dans la "retenue" de ses vingt ans. Il s'agit d'un pastel du plus grand et plus cher portraitiste bruxellois de l'époque: Charles Legrain. Par choix personnel ,Victorine se fera appeler Adèle.

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Durant toute sa vie, Adèle souffrira d'un caractère dépressif. L'absence de maternité accentuera douloureusement sa désespérance. Les fréquentes sorties de son mari par monts et par vaux, ses absences dans l'isolement de son atelier de travail, bref son immersion totale au service de sa passion artistique, lui coûteront aussi la permanence de son infinie solitude. Le 12 juillet 1890, en la salle des mariages du splendide hôtel de ville d'Anvers, Georges LITS reçoit, en néerlandais, l'assentiment des deux promis qui s'uniront ensuite en l'église Saint-Jacques. Le jeune couple ira ensuite s'installer au troisième étage d'une maison de maître située au numéro quarante-neuf de la place de MEIR, à quelques mètres de la redondante bâtisse ayant appartenu, en son temps, à Pierre-Paul RUBENS.

Au début de l'année 1891, soit après quelques mois seulement de vie commune, les mariés viendront s'installer dans les faubourgs de liège, là où Edgard a vu le jour.

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La " rue des Courteaux" où ils font bâtir une luxueuse villa ( qui existe toujours) sera pendant quelques années considérée comme "l'endroit à la mode", où il fait bon s'installer pourvu qu'on en ait les moyens. Sitôt installé à Chênée avec sa jeune épouse aux habitudes citadines, Edgard mettra un point d'honneur à redécouvrir les recoins et promenades sentimentales offerts par les localités proches...Le souffle de l'enfance saisit, corps et âme , le paysagiste enfin "installé"' dans sa vie...

La carte postale ci-contre date des années 1930. La villa du couple D'Hont se situe à l'extrême droite. Son architecture originale et "fantaisiste" pour l'époque s'inspire d'une construction en chalet . La maison du couple Vandaul dont il sera question plus loin, se situe dans le bloc de logements ouvriers qui fait quasi face à la villa, à gauche de notre photo.

La carte postale ci-contre a été expédiée par un militaire allemand en 1914....dans le souci de signifier son état de santé au demeurant excellent. Chênée s'apprête à vivre quatre années très difficiles. La photo au recto de cet envoi date donc d'avant la première guerre mondiale. On y découvre une "rue" des Courteaux à l'état de chemin terreux partiellement pavé vraiment peu praticable...Nul doute que la villa D'Hont bénéficie dès lors d'un calme absolu.La simple observation de ce bâtiment nous prouve son aspect "hors normes" au coeur de la cité ouvrière en bord de Vesdre. Les époux D'Hont nous démontrent par cette construction largement ostentatoire leur niveau de vie élevé et peut-être leur souci de le "faire savoir". Leur logis, qui en impose, a dû susciter maints commentaires souvent envieux et attirer les photographes cartophiles en quête de lieux remarquables.

Dès les prémices de leur vie commune, Adèle et Edgard tiendront à honorer les traditions et déploieront donc un intérêt viscéral vis-à-vis des proches de leur famille. Adèle compte plusieurs frères et de nombreuses soeurs. Le couple connaîtra , sans nulle hésitation, son plus intense bonheur entre son installation à la rue des Courteaux et l'aube des années 1900. Bien qu'il perde sa mère en 1893 et son frère Alfred en 1900, Edgard D'Hont mettra à profit ces années pour emmener son épouse en villégiature "verte" essentiellement dans les villages de Hony et Méry.Ces deux bourgades voisines, coincées entre les pentes sauvages de coteazux verdoyants, longent l'Ourthe qui, avec nonchalance et la beauté qu'offre l'eau, sauront séduire les jeunes tourtereaux.

Edgard va profiter de ces années pour enrichir son approche artistique, se façonner une morale et une éthique picturale mais aussi s'imposer la maîtrise de l'huile qu'il considère comme unique garantie d'une compétence réelle reconnue par la critique. Si dès avant cette époque, son trait et ses crayonnés respirent déjà un grand talent, si ses aquarelles ciselées imposent le respect, l'artiste négligera ces compétences qu'il maîtrise à la perfection au profit d'un long apprentissage empreint de modestie. Pour ce faire, lui et Adèle vont instituer l'ébauche d'une communauté au sens moderne du terme, en accueillant chez eux leurs meilleurs amis peintres qui viennent de "sortir" des académies. Tout ce petit monde rempli d'ambition veut imprimer une vision novatrice à Liège et, pourquoi pas, dans la Wallonie entière. Edgard D'Hont demeurera l'aîné de toutes ces rencontres où la jeunesse de la fière principauté explose de projets. De source sûre, Edgard D'Hont n'exerce aucune activité professionnelle reconnue et vit donc, forcément, de largesses familiales. C'est à Méry que l'artiste, locataire de la villa CREVECOEUR se mettra à l'écoute studieuse d'un jeune peintre promis à un avenir célèbre.

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Ce dernier a choisi définitivement de résider en ce village bucolique afin d'y trouver la quiétude et la sérénité propices à la naissance de ses oeuvres. Auguste DONNAY, surnommé le "Fra Angélico des pays mosans", rencontrera, en effet, à de fréquentes reprises le paysagiste de Chênée, échangeant avec lui sur pied d'égalité la mise en oeuvre de procédés artistiques et le choix des tonalités les plus élaborées. Ses conseils et avis aideront sans conteste son ami Edgard à vaincre l'approche délicate qu'offre la peinture à l'huile. Il ne réussira pourtant pas à le convaincre des vertus symbolistes que ses oeuvres appellent. Edgard D'Hont, à la vision respectueuse jusqu'au scrupule de la réalité, humble face à notre Mère Nature, préfèrera les représentations figuratives exactes aux analyses dictée par l'intellect ou les impressions personnelles. En cela, il abandonnera consciemment l'évolution de l'histoire picturale officielle et restera un peintre de la "réalité".Cette prise de position lui coûtera, de nos jours, le titre de peintre mineur.

L'orée du vingtième siècle verra le décès d'Edouard Dhont, à plus de nonante ans, âge respectable pour l'époque. Son fils Edgard, très affecté, se verra, suite à la disparition antérieure de son frère Alfred, l'un des deux bénéficiaires d'un héritage subséquent qui lui permettra une vie entière dévouée à l'art sans même l'obligation du succès. Il vivra donc une existence de rentier, loin de la caricature si adéquate en matière de biographie de la célèbre bohème artistique. Il mêlera ainsi, biens familiaux et gains importants liés à la vente de nombreux tableaux. Dans les deux premières décennies du siècle dernier, son travail sera reconnu au titre incontestable de "valeur de l'art liégeois". Son approche se caractérise par un aspect non agressif, lisse voire bourgeois. De multiples expositions permettront à son très large public, aux goûts dépourvus de risque, d'apprécier la sagesse raffinée de son talent. En présentant avec succès, en toute occasion, de trente à quarante tableaux à la vente, le paysagiste, verra la valeur de ses réalisations s'accroître d'expositions en manifestations diverses.

A partir de 1906 ( date approximative du portrait ci-contre), ses déplacements avec ou sans son épouse, à la recherche de sites à représenter, vont se multiplier. Si Hony et Méry ne seront jamais reniés, il va désormais s'éloigner de DONNAY et parcourir l'Ardenne entière en quête de ces lieux qu'il repère, pourvu que la lumière y attise la façade d'une masure, un tournant de ru ou quelque sente... Pour ce faire, il va utiliser, avec assiduité, les nouvelles commodités de déplacement que lui offre la modernité à savoir le chemin de fer et le tramway. Jamais pourtant il ne conduira d'automobile!

Quelques séjours plus exceptionnels le mèneront aussi en Campine, au Grand-Duché de Luxembourg, au sud des Pays-Bas et enfin le long de la Côte Belge qui n'accueille encore à cette époque que l'élite financière de la jeune nation.

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Ces années quiètes, comprises entre la naissance du siècle et le début du premier conflit mondial, verront un Edgard D'Hont, grisé par le succès, peut-être fanfaron, vivre sans doute ses plus grands bonheurs. On le découvre avec son épouse, à la gauche de la photographie de piètre qualité ci-contre, en villégiature vers 1905. Le personnage au centre est un des deux frères d'Adèle qui comptait aussi six soeurs. Fort de la fréquentation assidue du public à ses expositions et de l'admiration de plus en plus vive des critiques dans la presse, le peintre, comblé tant affectivement qu'économiquement, se sent irrésistiblement investi de cette aura qui n'appartient qu'au cercle restreint des esthètes. Initiateur des nouveaux salons picturaux, secrétaire du Cercle des Beaux-Arts de Liège dont il est un des fondateurs et "collaborateur distingué" du Musée de la Vie Wallonne, sa sagesse et sa compétence le rendent indispensable. Si son humilité  souffre de sa renommée, il apparaît cependant que l'artiste acceptera, sans rechigner, le rôle discret d'ordonnateur de l'ombre, laissant à des personnalités extraverties, devenues célèbres depuis, le bénéfice de certains de ses succès.

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En 1914, lorsqu'éclate le premier conflit mondial, le paysagiste, âgé de cinquante-trois ans, échappe à l'enrôlement militaire. Néanmoins à partir de ces années, il va connaître le nouveau versant d'une existence où, désormais, le malheur s'insinue inexorablement. Sa chère épouse, au caractère morose, portée vers la profonde neurasthénie, va, de regrets en déconvenues, s'enfoncer dans les affres d'une dépression morbide. A bout de forces, Adèle Vanneck décèdera six années plus tard.

Au sortir de la Grande Guerre, deux petites années après l'armistice, alors que la société belge vit des années fantastiques où les citoyens s'imposent d'oublier les privations passées, Edgard D'Hont se retrouve dramatiquement seul et affligé.Il noiera sa douleur dans l'exercice acharné de son pinceau à même la toile et par une immersion jubilatoire au coeur d'une nature pacificatrice

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Hélène Dhont, sa nièce trentenaire, fille de son frère Eugène, viendra le rejoindre et va, plus que probablement, profiter du gîte et du couvert à la villa des Courteaux en échange d'un talent plus féminin pour la cuisine et la bonne gestion bourgeoise d'un logis. La photo ci-contre nous la présente , âgée de 21 ans, dans la plénitude de sa beauté.

Férue d'art, elle va en profiter pour se lier d'amitié avec tout ce que la province compte de jeunes artistes et, par le biais de Mary MARECHAL, fille du peintre, faire la connaissance de la poétesse Marguerite VINCENT. C'est donc par l'entremise de sa nièce qu'Edgard D'Hont va, lui aussi, rencontrer cette jeune veuve au cours de l'année 1927.

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Les deux photos ci-dessus nous montrent, à gauche, Edgard D'Hont et sa nièce dans la salle à manger de la villa des Courteaux, aujourd'hui Villa Léa, et à droite le portrait de Marguerite Vincent à l'époque où elle rencontra le paysagiste.

A soixante-six ans, le peintre connaîtra avec la poétesse au ton fleur bleue une très profonde amitié peut-être "amoureuse". A l'évidence, ces deux êtres se fréquenteront assidument durant plusieurs mois.

En 1935, Edgard D'Hont vivra un nouveau drame personnel. Sa nièce Hélène, âgée de quarante-quatre ans, décède prématurément. Ce décès va replonger le peintre dans la plus inexorable solitude. Presque tous ses proches ont disparu tandis que l'âge et la maladie lui rendent, au fil des jours, la vie de plus en plus pénible.

Désemparé, il va se tourner vers les habitants de Chênée afin d'obtenir l'aide et le secours dont il a un indispensable besoin.

Aujourd'hui aux Courteaux, face à la demeure d'Edgard D'Hont, se dressent toujours quelques maisons aux façades identiques qui dessinent un bout de rue dérisoire aux allures de coron ouvrier. En 1935, l'une de ces dernières abrite le sympathique ménage de Berthe et Fernand VANDAUL. Les Vandaul vont donc, émus par son âge , sa situation et une foi ANTOINISTE voler largement au secours du vieil homme. Dans les semaines et les mois qui suivirent le décès de l'énergique Hélène, Berthe, alerte trentenaire, avec l'assentiment de son époux, va journellement apporter le dîner et le souper à son voisin d'en face. Bien que nanti financièrement, ce dernier erre en effet dans la plus intense désolation, sans plus d'attache, bien peu d'espoir et l'absence de tout but à longue échéance.

Petit à petit, les trois voisins vont se rapprocher jusqu'à entretenir des rapports quasi familiaux. Edgard D'Hont, en vieillard étique à la santé de plus en plus fragile, seul en son immense manoir silencieux, va finalement suggérer à ses nopuveaux amis d'accepter de l'héberger chez...eux! Afin de précipiter leur accord, qu'il ignore gagné par avance, il leur propose d'aménager, à ses frais, un nouvel espace sous la terrasse de leur maison qui lui servirait de bureau et d'atelier ainsi qu'une salle de bain, luxe suprême hérité de la Belle Epoque.

Sans le moindre intérêt vénal mais ravi par sa notoriété et ses propositions, le jeune couple a déjà accepté la cohabitation avec le vieillard au caractère, il est vrai, égal et facile.

Au cours des ultimes années de vie d'Edgard D'Hont, les Vandaul multiplieront les attentions, les soutiens organisationnels et les gentillesses à l'égard du quasi octogénaire qu'ils considèrent comme un parent. L'artiste retrouvera ainsi le mince fil menant à quelques bonheurs simples et bon enfant.

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Emu par cette sollicitude ou peut-être déçu par l'attitude des rares survivants de sa propre famille, Edgard D'Hont, le trois octobre 1936, rédigera un testament désignant ses bienfaiteurs héritiers de tous ses biens, cela "en reconnaissance des immenses services rendus...". Les Vandaul ne vendront jamais le moindre tableau exécuté ou ayant appartenu au peintre. Ils vivront toujours financièrement avec parcimonie.

La photo ci-contre a été prise quelques instants avant l'ouverture en 1939 de l'ultime exposition du peintre au Cercle des Beaux-Arts. Le couple Vandaul se tient à la gauche de l'artiste.

Les dernières sorties verront l'apparition d'une chaise roulante bien utile au vieil homme qui peine à respirer.

Alors qu'Edgard D'Hont ne s'est plus manifesté publiquement depuis des années, c'est encore Berthe qui s'activera afin d'organiser sa dernière exposition.

Lorsque la seconde guerre mondiale éclate et que les armées allemandes s'engouffrent, une fois encore, au coeur de nos régions , le peintre infirme est désormais trop malade pour supporter les conséquences de cette invasion. Son état empêche, en tout cas, le couple Vandaul de s'inscrire dans l'excitation d'un exode vers la France... De plus en plus souffrant, épuisé par l'âge et la langueur de vivre, victime aussi des privations dues au conflit, Edgard D'Hont s'éteint le dix-huit septembre 1941 dans la chambre que les Vandaul lui ont ouverte. Outre ses biens, il laisse quelques oeuvres que Berthe gardera précieusement dans un local particulier rassemblant tous les meubles et objets personnels du peintre. Edgard D'Hont sera inhumé dans le caveau du vieux cimetière de Chênée. Il y rejoint sa femme Adèle, sa mère, sa plus chère nièce et son fantasque frère.

Deux témoignages d'une portée très différente apporteront au peintre, à leur manière, un doux éclairage postérieur. Le souvenir revient parfois d'où on ne l'attend pas avec assurance. Le geste le plus honorifique sera celui que lui décernera le Conseil Communal de Chênée en baptisant l'une de ses artères "l'allée Edgard D'Hont" . cette dernière abrite entre autres la nouvelle "Maison des Jeunes". L'avenir semble avoir subséquemment trouvé dans le souvenir du vieil artiste le terreau de sa fécondité.

 

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Le second témoignage par-delà sa petitesse, s'avère encore plus touchant.

parmi les édifices mortuaires prétentieux du vieux cimetière, une main discrète et anonyme ( peut-être "communale") s'est penchée sur l'humble pierre tombale de la famille D'hont adossée à son mur de briques pour repasser de jaune le tracé de la gravure des noms. Les patronymes, mieux valorisés, semblent ainsi retrouver les chemins du souvenir.

Edgard D'Hont méritait bien ce peu de peinture criarde avant de s'en retourner, au travers de ses tableaux, au contact des ciels, des rivières, du soleil et des vents qui ont porté son âme. Nos murs où pendent parfois quelques-uns de ses croquis s'enorgueillissent dès lors de lieux choisis par lui pour nous.

Inscrits dans l'huile et les pigments, ravivés dans nos mémoires, ils demeureront gravés à jamais dans nos coeurs pour mieux nous attendre....à quelques pas de chez...nous!

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