L'artiste officiel

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Si l'on peut qualifier Edgard D'Hont de membre assidu de tous les cercles liégeois concernés par la promotion de l'art, il serait erroné de résumer sa vie professionnelle à la seule fréquentation des salons cossus. L'essence même de ses ardeurs s'articule surtout autour d'un travail intense sur le terrain de sa passion. La photographie ci-contre le prouve à souhait. Seul compte en réalité au fond de lui le labeur du peintre confronté à un toile vierge.

En s'astreignant à une moyenne de trois expositions annuelles, il présentera quantité d'oeuvres dont la plupart trouveront aisément preneur auprès d'un public d'admirateurs fidélisés et enthousiastes. Il faut considérer qu'avant les prémices du premier conflit mondial, il sera désigné par la presse comme le meilleur "vendeur" liégeois après Xavier Würth, peintre paysagiste au style fort proche du sien.

L'huile de Xavier Würth présentée ci-dessous, dépourvue de titre, a été offerte par son auteur à Edgard D'Hont. Ce dernier l'a gardée bien en vue dans son studio jusqu'à sa mort. Ce tableau fait partie d'une collection privée.

Si Edgard D'Hont multiplie les réalisations picturales, il le doit essentiellement à son incontestable aisance financière qui l'autorise à réserver tout son temps à son art. Jamais il ne connaîtra les affres de la misère, de la bohème des artistes maudits ou la recherche désespérante d'un mécène compréhensif.

A la sortie définitive des salles de dessin de l'Académie des Beaux-Arts de Liège", il maîtrise à la perfection la science du dessin. La précision de son trait léger, qui jamais ne l'abandonnera même dans les derniers instants, lui permet à vingt ans d'atteindre déjà l'excellence dans la manipulation délicate des aquarelles. Ses "tons" pastel font sensation et une eau parfaitement maîtrisée lui accorde l'estime de tous. Sa grâce fait merveille.

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Très vite cependant, une véritable obsession va accaparer son esprit. Face à la transcription de la lumière, de la réalité des reflets et de la densité des tons, seul le travail de l'huile et des pigments lui apparaît faire réellement preuve d'efficacité. Or, il doit bien, en ces années quatre-vingt-dix, avouer ses lacunes dans la préhension de cette technique plus vive, plus dense et moins minutieuse....L'amplitude lui fait défaut. Nombre d'essais seront sans doute mis en doute puis détruits.

A cette époque, le paysagiste, toujours admiratif de l'apparente facilité de ses collègues, va développer une "manie" toute personnelle. A chacun de ses "coexposants", il proposera la cession réciproque d'une oeuvre. cette tradition le suivra tout au long de sa vie et de ses rencontres l'amenant à posséder, en fin de carrière, une collection très éclectique et représentative de toute une génération de peintres mosans ou "étrangers" à sa belle région.

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Outre ceux qu'il héberge à Méry dans sa villa de villégiature ( en priorité ses amis Louis (Ludovic) BAUES, Alphonse MATAIVE , Alfred DEFIZE et François MARECHAL) et qui formeront une sorte de "communauté-école" qui ne veut pas dire son nom ou ne l'a pas encore inventé, Edgard D'Hont va aussi fréquenter un artiste plus solitaire qui a choisi en 1905 de s'établir, sur ses conseils, avec son épouse en ces lieux qu'il peindra sans discontinuer jusqu'à son dramatique suicide à Jette-Saint-Pierre, dans la région bruxelloise en 1921.Cet artiste remarquable se nomme Auguste Donnay.

L'huile ci-contre est le dernier autoportrait de Louis, ou plutôt selon son caprice d'artiste Ludovic Bauès.

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Ci-dessus à gauche se trouve un cliché imparfait datant de 1903. On y distingue le couple formé par Adèle et Edgard D'Hont à l'entrée de la villa" communautaire et artistique" de Crèvecoeur à Méry. Le gamin à la bêche est leur neveu, fils d'une soeur aînée d'Adèle. Le peintre, volontiers de mentalité écologiste à l'époque,  porte fièrement un pain qu'il vient sans doute de cuire. La photo actuelle du centre nous montre le même endroit de nos jours. Quant à l'huile de droite, il s'agit d'une oeuvre de Ludovic Bauès qui, lors d'un séjour à la villa, y représente un gamin à la fenêtre du second étage.Le fond du tableau nous propose une vue de quelques maisons de Méry. Ce tableau a été déposé sur internet et mis en vente avec succès dans une salle adéquate de Liège.

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En échangeant avec Auguste DONNAY, Edgard D'Hont va vivre une expérience qui marquera son existence entière. Les deux hommes sont de la même génération. Une simple année sépare leurs naissances.

La photo rarissime de gauche nous présente Auguste DONNAY au travail sous le pont d'Hony étroitement surveillé par le paysagiste de Chênée. Hony est le village voisin de Méry. Ces deux communes offriront à Donnay la plupart de ses paysages.

Donnay, sûr de lui, dominera sans doute un Edgard D'Hont plus réservé et moins arrogant sur ses propres capacités et ses propres choix. Il apparaît incontestable que si, en 1905, D'Hont a repris avec succès sa carrière publique, ses échanges avec Donnay vont encore renforcer son assise artistique et lui permettre de se réaliser d'une manière définitive.

Malgré ses orientations opposées, Donnay aura suggéré à son "voisin" une technique qui lui est propre: la découpe d'un paysage en larges plans successifs. D'Hont, persuadé de l'exactitude de cette vision, abusera, lui aussi de cette présentation dimensionnelle.

La lettre reproduite ci-contre, très rare elle aussi, de la main même de Donnay, malgré la faute d'orthographe qu'elle contient au niveau du nom de son destinataire, prouve que les deux hommes, malgré des choix différents d'approche picturale resteront en contact. Dans ce cas, la fonction de "Secrétaire" d'Edgard D'Hont a bien sûr joué. Même quelqu'un de sûr de lui, comme pouvait se montrer Donnay, peut s'abaisser à quémander une faveur...L'artiste ne vend que si il expose...le fait est inévitable.

Le nom d'Edgard D'Hont va soudain résonner avec fracas au cours de l'année 1904 que l'on peut considérer comme celle d'une véritable naissance alors qu'il ne s'agit, en réalité, que d'un retour gagnant. L'artiste va s'imposer en véritable nécessité incontournable. Son existence et la  réalité intime de sa personnalité vont remplir les colonnes des gazettes et des illustrés les plus lus en Wallonie.

Si le paysagiste surprend par son rendu visuel face aux spectacles naturels, jamais il ne conceptualisera une recréation née de son esprit. Certes, il est possible de comparer, avec grande modestie, son travail à certaines toiles de génies tels Sisley ou Pissaro qui, en partie ,sont restés attachés à la tradition terrienne de l' école de Barbizon mais jamais il ne pourra rattacher sa démarche à l'explosion du pur symbolisme initié par Monet.

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Loin des parcours somptueux de ces célébrités dignes des plus fastueux musées, Edgard D'Hont, à son niveau, en plus d'un succès hutois imprévu mais très vif, va simultanément séduire sa propre cité mosane puis, sur sa lancée, triompher dans le Sud des Pays-Bas. Certains journalistes bataves, peut-être un peu trop enthousiastes, n'hésiteront pas à le comparer à quelques notoriétés picturales du siècle d'or hollandais.

Par son souci de minutie et son talent, Edgard D'Hont bénéficiera sans retenue du désir de la "nouvelle" classe moyenne, née de la révolution industrielle, d'acquérir des oeuvres originales qu'elle accrochera aux murs de ses intérieurs. L'art pictural désormais appartient à un plus grand nombre et ne se destine plus seulement aux châteaux ou aux lieux de culte. Ce succès d'estime et cette frénésie d'achats entoureront les oeuvres du paysagiste jusqu'à l'éclatement du premier conflit mondial. Suite à l'armistice de 1918, les opinions auront évolué. Un nouveau public en apparence, toujours capable de brûler sans vergogne ce qu'il a jadis adoré, se flattera de modernité et de progrès. Les "années folles" vont dérouler leur majesté. L'art moderne s'y inscrira dans le souhait "revanchard" de profiter d'un monde à reconstruire et réinventer.

L'éminent critique José Gers, dont les avis au scalpel attisent les craintes de toute la corporation artistique, va, en 1906, passer de longues heures face aux nouvelles productions d'Edgard D'Hont.

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Suite à cette observation, il cernera à la perfection la philosophie créatrice du Chénéen. Ainsi peut-on lire sous sa plume: "...Edgard D'Hont fait fi des procédés d'écoles avancées ou des formules...Son art est simple, foncièrement honnête..."

Au cours des mois suivants, trois avis non concertés scelleront à jamais l'importance prise par D'Hont au sein du monde culturel wallon qui, pour sa part, demeure éloigné des nouvelles écoles d'art.

Un critique du Sud des Pays-Bas affirme: " Le peintre D'Hont offre une telle sincérité qu'on en oublie que l'on observe un tableau. Voilà l'exposition où tout ce que la ville (ndlr: de Maastricht) compte d'artistes et d'amateurs se bousculent..."

Mestre, le cynique et implacable spécialiste du journal " La Meuse", parle lui de :" ....progrès décisifs..." et conclut son éloge d'un vibrant: "...L'art est atteint..."

Enfin, à Charleroi, Jules Destrée, le mentor wallon, va promouvoir le paysagiste au rang des artistes remarquables de son peuple en sanctionnant son art, au terme d'un long panégyrique, d'un :"...Edgard D'Hont apparaît comme le chantre de la lumière..."

On déduira sans peine qu'en ces années, la renommée du peintre atteint son apogée.Sans doute doit-il éprouver quelque difficulté à protéger son humilité naturelle. Il va ,dès lors, en profiter pour exposer dans toutes les cités soucieuses d'organiser des salons picturaux en accord avec les goûts d'un public bourgeois. Bruxelles, Anvers, Ostende, Aix-la-Chapelle, Charleroi et tant d'autres cités lui font les yeux doux. Ses travaux y accompagnent les compositions de tous les peintres choyés de l'époque qui, aujourd'hui encore, marquent les mémoires et suscitent le respect des vrais connaisseurs.

 

On lui accordera ainsi, au hasard, la compagnie des Heintz, Donnay, Marneffe, Rassenfosse, Maréchal, De Witte, Würth, Caron, Baues, Ransy, Masson, Ochs ou encore Coenraets et Sirtaine.

Ci-contre se découvre une sérigraphie très rare de François Maréchal offerte à son ami Edgard en signe de reconnaissance. On y découvre, de dos, la mère de l'artiste occupée à une lourde tâche ménagère; (collection privée)

C'est dans cette euphorie qu'éclate le premier conflit mondial. La guerre, dans son immoralité, annihilera largement l'oeuvre de culture et la spontanéité de la création.

Lorsque tombe, le onze novembre 1918, l'Armistice, il faudra un répit de quelques années avant qu'une nouvelle société s'organise sur les décombres de l'horreur. A l'aurore de la soixantaine, Edgard D'Hont, lassé de la frénésie des "écoles d'art" à la longévité fort volatile et d'un milieu pictural asservi aux cercles réformés, va choisir une voie plus calme, indépendante et discrète.

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Dans une démarche chère à Marcel Proust, le paysagiste, après avoir côtoyé le monde des gens en vue, va s'enfermer dans la clairière de la création silencieuse et des souvenirs d'enfance. Edgard D'Hont va donc se retirer chez lui, au coeur de sa cité de Chênée, pour s'en aller le plus régulièrement possible, se confronter aux paysages naturels et reproduire leur beauté exactement comme il la perçoit. Au fond de son âme, sans doute ressent-il les tendances nouvelles de l'art comme galvaudées par le mercantilisme et l'esbroufe. On peut aussi raisonnablement l'estimer fort amer face à une mise à l'écart qu'il feint de décider seul.

Conscient de son style maîtrisé et de sa touche construite qui continue à plaire quand même, sa peinture n'évoluera plus...pour peu qu'elle ait jamais fondamentalement évolué.

Curieusement, alors qu'il choisit l'exode intellectuel et s'isole tant et plus, Edgard D'Hont va se muter en "incontournable" local. Le journaliste Kunel restera son plus obstiné laudateur, citant le courage de ses prises de position honnêtes qui refusent les égarements des modes. Il s'exclamera : "On va dans les toiles de D'Hont à la recherche du bonheur...". Le" Journal de Liège", complice, surenchérit :" Il plante son chevalet là où il s'arrête. D'Hont a changé son champ d'action. A cette heure, il compose un tableau. Tout est ordonné en vue de mettre en valeur l'objet principal..."

Edgard D'Hont obtiendra même, de manière trimestrielle, sa rubrique où, sous sa photo, il narrera son travail, ses espoirs et ses projets. Décidément, l'exilé volontaire n'a jamais autant fait parler de lui!

Au cours des mois de 1931, le peintre, usé par l'age, va, sans le vouloir, utiliser spontanément une technique pour lui nouvelle qui va lui apporter nombre d'éloges. Lassé de porter son encombrant chevalet par tous les temps et dans des recoins difficiles d'accès, il va préférer se munir d'un simple bloc de feuilles afin de réaliser "en site" des croquis. L'utilisation du fusain, malgré la précision de sa main, va alors lui paraître incomplète, incapable à elle seule, de reproduire dans l'exactitude de son ressenti les jeux des ombres et de la lumière. Il décide donc de "relever" ses esquisses à l'aide d'une ou deux couleurs offertes par ses crayons au pastel gras.

Il est probable que si de tels dessins enluminés avaient été présentés plus tôt, la réaction du public aurait forcé l'artiste à persévérer dans cette voie et s'inscrire ainsi dans un art évolutif plus en phase avec les goûts "du jour".

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Le 15 novembre 1934, reconnu dans les qualités remarquables de son statut, le paysagiste reçoit les " Palmes d'or de l'ordre de la Couronne", témoignage de la bienveillance du Roi à l'égard de ses services rendus aux Arts dans l'exercice de ses fonctions.

Dès les premiers mois de 1937, confronté à une santé qui se dégrade et subit les effets de l'âge, Edgard D'Hont, envers et contre tout, multiplie les escapades buissonnières dans nombre de villages ardennais ( voir la page "Le chaland") Pourvu qu'une construction vétuste locale y ait résisté au temps au coeur d'une nature sans apprêts, l'homme est séduit. Si, par chance y coule une eau vive, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'importe, l'artiste se met au travail. S'il est accompagné et donc aidé dans le transport d'un matériel lourd, le tableau qui s'offre à lui est reproduit séance tenante, sur place et, le plus souvent, à l'huile.

 

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En 1939, le paysagiste va exposer une dernière fois en "son" Cercle des Beaux-Arts. Malgré son état de santé chaotique, il trouvera en Berthe et Fernand Vandaul, ses logeurs, les personnes capables de mettre en oeuvre l'imposante logistique que sous-tend une telle manifestation.

La photo ci-contre nous montre le peintre accompagné et soutenu par le plus fidèle ami de ses dernières années Jules Farineau et son épouse. Fernand Vandaul joue ici le rôle de photographe.

La presse, une dernière fois, va offrir de la redondance à la démarche du peintre par l'intermédiaire d'articles élogieux accompagnés, fait nouveau, de larges reproductions de ses tableaux. Ainsi aura-t-il fallu une vie entière de travail pour que le paysagiste redécouvre ses oeuvres imprimées sur le papier d'une gazette.

Un journaliste anonyme a, avec simplicité, parfaitement saisi le travail devant lequel il a déambulé pour déclarer: "...Ce n'est pas un hasard qui a fait intituler "Sérénité" l'oeuvre la plus importante de l'ensemble des peintures et pastels rehaussés que réunit Edgard D'Hont mais bien plutôt la conscience de l'heureux sentiment qui préside cette charmante exposition..."

Après ce succès amplement reconnu, les jours du paysagiste sont désormais comptés.

Sa santé ne lui permet plus de se déplacer et de dessiner d'une façon qui le satisfasse. Ses pieds traînent, ses  mains se raidissent, son esprit tombe dans les griffes d'un manque patent d'envie...

Sa carrière est close. Reste l'homme nu et seul, ses souffrances et ce combat final dont nul ne sort jamais gagnant.

Berthe Vandaul, en février 1958, organisera, à titre personnel, en la salle des mariages de Chênée la seule exposition posthume entièrement dédiée à Edgard D'Hont. Elle refusera obstinément d'y vendre le moindre tableau.

Fin 1941, D'Hont quitte à jamais la Wallonie, ses sentes escarpées, ses sous-bois et ses torrents enchanteurs.

Ces sanctuaires muets perdent ainsi l'un de leurs plus grands serviteurs qui n'aura jamais imaginé rivaliser avec leur beauté sinon par l'élégance de son "rendu".

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Son âme n'en finira jamais de se glisser parmi les ombres et les clartés qu'il a nourries à petits coups vifs de couleurs mêlées.

"...là-bas...." comme l'avoue Camille Lemonnier...."...coulent les eaux flottant à la dérive des brouillards lumineux..."

Car, là-bas, coule sur la toile un pinceau porteur de lumière, frêle quinquet au plus profond de l'obscurité où nous oeuvrons dans l'indifférence...

Là-bas où règne un Edgard D'Hont apaisé sous les rayons d'un soleil passé...