l'artiste intime

 
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Alors qu'elle choisit, au cours de l'année 1927, les poèmes qu'elle destinera à son recueil "Couleurs de l'horizon", la poétesse Marguerite Vincent, dans un souci de perfection, sollicite Edgard D'Hont afin de lui mendier la réalisation de deux paysages au fusain qu'elle se propose d'insérer entre ses sonnets. Le paysagiste, fait exceptionnel, consentira à cette requête formulée, il est vrai, par une jeune femme dont la personnalité le trouble. Facétieux, il la surprendra cependant en ajoutant à la commande initiale un projet d'ex-libris destiné à servir de signet à tout futur acheteur de l'ouvrage.

( l'huile ci-dessus est l'une des rares oeuvres du paysagiste qui inclut un personnage humain dans sa réalisation.Ce dernier, comme dans presque tous les cas est présenté de dos et ,de ce fait, se dilue afin de ne point s'imposer au reste du paysage.Le tableau n'a pas reçu de titre.) ( Collection privée)

Un tel carton, malgré son apparence dérisoire, a pour intention secrète de bien révéler au lecteur le sens réel de la collaboration entre la poétesse et son illustrateur.

Edgard D'Hont profite de cette opportunité pour insuffler une vision très personnelle au coeur de l'oeuvre de la poétesse au style volontiers fleur bleue et aux images littéraires plutôt mièvres. Ces dernières coincident néanmoins parfaitement avec les choix de décors du peintre. Pour ce faire il réalise une épure

minimaliste couleur d'ébène où l'on distingue cinq bouleaux décharnés dont la nudité libère la vision quasi apocalyptique de cheminées d'usine crachant leurs volutes nauséabondes et mortelles.

L'allégorie résume parfaitement le combat intime du paysagiste de Chênée.Edgard D'Hont, jusqu'à son dernier souffle, endossera, sans rivalité d'égo, une démarche de vassalité à l'égard des beautés naturelles qui l'entourent.

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Modeste dans son approche animée d'un total esprit de vassalité, il s'astreindra à restituer au plus juste la magnificence d'une nature intemporelle . Sa vocation de paysagiste se bornera sciemment à traduire la stricte réalité du monde qui l'entoure sans s'arroger un quelconque droit d' interprétation personnelle.

Au coeur de sa palette n'apparaît que l'effacement lucide d'un serviteur totalement inféodé au sujet qu'il aborde... La nature, pour lui, en reine de beauté, ne saurait être réinterprétée par la petitesse de l'humain. L'artiste doit s'interdire de revêtir des oripeaux prométhéens car il ne peut qu'avouer la qualité inégalable des biotopes déjà présents bien avant son apparition.

Dès lors dans chacun de ses tableaux s'exprime le miracle d'un quotidien où ombres et clartés tiennent le rôle d'éléments coordinateurs. Tout au long de son parcours, Edgard D'Hont nous plonge dans une réalité qui rend la minute présente différente de la précédente avant de nous échapper à jamais! Son rôle d'artiste s'apparente à celui de témoin privilégié amené à répercuter une vérité irrésolue et une mouvance ambiguë.

La lumière, en farfadet espiègle mais essentiel, au gré des saisons ou du caprice des heures, propose des visions fugitives pareilles à celles d'un kaléidoscope entre les quenottes d'un enfant. Une simple brise peut, dès lors, agir en "battement d'aile de papillon..." et modifier viscéralement l'essence même d'un paysage. En fait pour le Chénéen, tout lieu peut être reproduit à l'infini sans jamais pour autant se répéter.Il suffit pour ce faire de simplement choisir un autre moment!

Et ce, en parodiant Jacques Brel:"...pour un instant....un instant seulement..." ( Ces gens-là...)

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Les deux croquis ci-dessus réalisés au fusain illustrent le recueil de poèmes " Les couleurs de l'horizon de M. Vincent paruen 1937 aux Editions Lovanis ( peut-êre en ré-impression vu l'espace temporel de dix années entre le projet proposé ici et le recueil retrouvé dans les documents personnels du peintre)

Né au ventre des campagnes, c'est avec terreur qu'il a évalué le basculement d'une société asservie depuis peu au développement économique anarchique et à l'industrialisation aveugle. Il s'impose donc l'apostolat de restituer les vérités déchues d'un univers séculaire.

 

Bien que né parmi les poussières de houille et le bruit des marteaux d'une sidérurgie omniprésente, le paysagiste, en conservateur et résistant, va fuir les rejets des usines pour se fondre au coeur d'un silence épargné ( ci-contre  la photographie nous présente un recoin de l'usine "Cuivre et Zinc" à Grivegnée-Chênée au début du vingtième siècle)  Pour ce faire, lié par le fil des souvenirs qui l'asservissent à la terre, il va démontrer sa compréhension intime du vieux Pays Mosan. Au hasard, il plantera son chevalet là où son envie le guide et montrera ainsi les acquis de longues années d'investigations menées au coeur de son enfance.

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Sa peinture pastorale, décrite comme "virgilienne" par certains critiques, s'enrichit de la banalité miraculeuse d'un terroir. Ce faisant, elle creuse le modeste sillon d'une humanité qui souffre désormais du progrès vandale et des profits voyous.

Edgard D'Hont, par option et par choix, ne peindra jamais qu'un univers adouci même après les affres d'une pluie ravageuse ou d'un vent cogneur. Sous toutes ses formes, la nature agit en baume de l'âme. Dès lors une tempête vaincue se mue dans son art en ce que son compère liégeois Georges SIMENON dénomme avec originalité des "...friselis d'air...". Ici encore chaque élément n'agit qu'avec la plus extrême délicatesse.

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Et puisqu'il est  question de Simenon, signalons que ce dernier, alors très jeune journaliste (voir ci-contre), a fréquenté comme très probablement Edgard D'Hont et son ami Fernand Steven un grenier un peu sordide où se "refaisait" le monde surnommé "La caque". Ce dernier se cachait dans l'ombre de la célèbre église Saint-Pholien où le personnage de Maigret devait être confronté à un désormais célèbre pendu.

En 1909, parmi tant d'autres, un journaliste anonyme, collaborateur du journal " La Dépêche" trouvera les substantifs adéquats pour circonscrire le travail du paysagiste:

"...Edgard D'Hont peint ce qu'il voit et il voit bien! Ce qui le tente ce n'est pas le soleil écarlate, ses irridations cruelles, sa lumière qui vibre...Non!

C'est le moment fugitif de l'heure mauve, l'heure où le crépuscule enserre le jour finissant. Et encore...ne choisit-il pas les soirs calmes et majestueux mais les ciels tourmentés où les nuages cachent leur agonie. Ses paysages ont de l'ampleur, de l'espace, de l'horizon et la splendeur muette de leur propre désolation bardée de solitude..."

 

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De manière indubitable, la technique picturale d'Edgard D'Hont trouve ses fondements dans la qualité et la précision exceptionnelle de ses crayonnés d'ébauche. Ces derniers se révèlent parfois  sans le vouloir au travers de ses aquarelles encore plus légères. Sans doute doit-il la perfection de ses croquis aux exigences draconiennes de ses professeurs d'académie.

Chaque oeuvre de l'artiste montre son goût pour une construction bien établie, rigoureuse mais créatrice d'harmonie. Si la facture serrée y manque parfois de masse, surtout dans les avant-plans et qu'un exercice minutieux peut se perdre dans une légère édulcoration teintée de fadeur, l'approche demeure toujours tendre et enjôleuse. Cet abord tout en douceur instigue la nature représentée à s'exprimer de manière aussi confidentielle qu'intense...

( l'huile ci-dessus doit être considérée comme inachevée bien que très élaborée.Elle n'a d'ailleurs pas mérité sa signature authentificatrice. Peut-être cependant nous "montre"-t-elle plus clairement encore les errances du peintre absorbé par sa création, ses retenues et ses élans.Vu de près le ciel est manifestement en attente de complément )(collection privée))

Ses choix expressifs dissuaderont Edgard D'Hont de s'ouvrir à l'ampleur dramatique des grands panoramas pour choisir les coins assourdis d'une clairière ou la timidité d'un sous-bois. Face à chaque tableau, l'observateur ne peut s'empêcher de percevoir un message qui, sur le mode de la confidence , vient à lui...comme si les objets qu'il contemple lui murmuraient un ressenti gavé de la crainte de la disparition prochaine.

Brel, encore lui , ne définissait-il pas le talent comme l'envie de réaliser quelque chose et d'aller consciemment à la rencontre d'un rêve enfantin né d'une inaccessible étoile?

Si un seul et unique aspect des tableaux du Maître de Chênée devait se voir mis en évidence, nul doute que ce serait la qualité de ses ciels féériques qui se verrait choisie. L'incandescence des nuages et la mystique de leurs agencements y concourent à l'acquisition d'une excellence indubitable. La vapeur s'y invente cathédrale, joyaux, chef- d'oeuvre !

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Au niveau des couleurs, le travail scrupuleux du Chénéen lui impose, afin d'atteindre ses effets assourdis, d'utiliser une gamme en mineur de tons mordorés et chauds, transpercés de-ci de-là de reflets plus acides et même parfois trop crus (surtout au niveau de la représentation d'une surface herbeuse ou gazonnée). Au départ de cette matière épargnée qui, pour autant ne manque pas de fermeté, le paysagiste va parvenir sans coup férir à offrir une réelle vibration à ses tonalités. Il n'est pas rare qu'il utilise des espaces de toile à peine recouverts voire totalement nus.

Edgard D'Hont, animé par sa modeste obstination d'artisan, n'aura-t-il été qu'un des derniers témoins d'une magnificence miraculeuse vouée à la pollution et aux ordures?

Et si tout tableau du paysagiste, dans sa modestie sereine n'avait pour seule ambition que d'ouvrir nos yeux....qui souvent ne voient pas la fuite d'un monde ancien?

Et si nous prenions le temps de "retrouver " l'âme d'Edgard D'Hont et son message entièrement calfeutrés dans chacun de ses tableaux?

Alors peut-être tracerions-nous l'étroit sentier d'un avenir plus soucieux d'écologie à même la glaise représentée sur ses toiles, parmi ses bosquets, entre ses rus sauvageons, entre ses meules au dos voûté et un bouquet d'arbres pensifs...Alors peut-être errerions-nous sous un de ses ciels redevenu serein dans l'espace merveilleux qui nous est laissé par..."...la pendule d'argent qui  ronronne au salon, qui dit oui, qui dit non, et puis qui nous attend..." ( Les Vieux. J. Brel)

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Le poème ci-dessus a été composé par Marguerite VINCENT quant aux oeuvres de D'Hont, celle du dessus est une aquarelle de 26cm sur 30cm qui porte la date 1919 et le titre "ESNEUX" (proposée en vain  à la vente sur Ebay.fr en décembre 2015.

Les deux photos ci-dessous nous présentent la  jeune poétesse en tenue de (premières?) noces et la dédicace qu'elle adresse à Edgard D'Hont

 

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Enfin voici la reproduction d'un article paru en 1972 à Verviers et une photo de "famille" où Marguerite, toujours "très" proche d'Edgard D'Hont participe à l'une de ses réunions de famille. Le peintre est reconnaissable à droite tandis que la poétesse est assise à l'extrême gauche du cliché.

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La découverte par hasard de la carte présentée recto et verso ci-dessus nous permet de"prolonger" l'histoire d'amitié entre Marguerite Vincent et Edgard D'Hont. En effet, le 31 mars 1941, soit peu de mois avant son décès , le paysagiste expédie une carte sans le moindre texte au couple Wolters de Verviers . Il apparaît donc évident que les liens entre les deux artistes n'ont été rompus que lors du décès du Chénéen. Ce dernier utilise, peut-être avec reconnaissance et ce brin de fierté dont il a du mal à se départir, une carte issue d'un "carnet" vendu dans toutes les boutiques de sa cité.Ce carnet, mis à part cette carte de la Vieille Jobette, ne présente que des vues  photographiques de Chênée Le côté " dépourvu de commentaire"  de l'envoi semble signifier que la date d'expédition suffit pour que l'intention de l'expéditeur se clarifie. S'agit-il d'un simple petit salut d'amitié? Voilà qui semble peu probable. On songera plus aisément à la commémoration d'un événement précis (anniversaire, fête)....Le mariage (ou le remariage?) de Marguerite n'aura donc pas changé définitivement les rapports entre les deux artistes si proches durant quelques années. Le sens intime et précis de cette amitié sincère se bornera donc, pour nous, à sa seule longévité.